Connaissez-vous le pourcentage des patients qui ne comprennent absolument rien quand ils sont dans un hôpital ? Et nous ne parlons pas ici de personnes qui ne maîtrisent pas la langue, le français ici en l’occurrence. Il est clair que si je vais en Chine, dans un hôpital, je ne comprendrai rien. Pas plus d’ailleurs que dans une administration à Pékin. Normal. Je ne parle pas la langue. Nous parlons bien ici de gens qui maîtrisent la langue. Des études ont été menées sur le sujet aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis.

La spécialiste sur le sujet est la professeure Rima Rudd de l’Ecole de Santé publique de l’Université d’Harvard. Elle s’est spécialisée dans ce que l’on appelle la littératie. C’est-à-dire la capacité que nous avons à comprendre l’information qui nous est donnée. Une des premières études sur la question a été menée au Canada par l’Association canadienne de santé publique et cette étude révèle qu’« Un Canadien sur deux est analphabète quand il pénètre dans le système de santé et plus les patients sont âgés, plus les difficultés de communication sont grandes. »[1]. C’est au Canada. Ce n’est pas comme cela chez nous. Détrompez-vous ! En Suisse, selon la dernière grande étude[2] réalisée à ce sujet en 2003, plus d’une personne sur deux (52,5%) a des compétences en littératie de faibles à très faibles[3] . Une étude similaire menée en Europe et publiée en mars 2013 montre qu’un Européen sur deux  a un niveau trop faible en littéracie en santé. Et ce, tous pays confondus. La problématique est donc générale.

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En novembre 2012, la professeure Rima Rudd s’exprimait en Suisse sur le sujet à l’invitation de la Polyclinique médicale universitaire de Lausanne, à l’occasion d’un symposium organisé par l’institution sur «Littératie et Web 2.0»[4]. Voilà quelques éléments  intéressants à méditer.

«La littératie est déjà quelque chose de difficile en soi et dans la plupart des pays industrialisés, près de la moitié des adultes rencontrent des difficultés avec l’écrit. Si l’on en vient à la santé, les informations à transmettre sont si complexes que même les personnes qui maîtrisent bien l’écrit peuvent rencontrer des difficultés. Un exemple, prenez le mot «risque». C’est un concept mathématique très difficile à expliquer. Si l’on me dit que «par rapport à la normale», j’ai une «plus grande probabilité d’avoir telle maladie», que signifie «probabilité» ici? Qu’est-ce que «la normale» en matière de santé? Ces termes, nous ne les expliquons pas aux patients.(…) »

« Et encore, il ne s’agit pas de jargon…Mais toutes les professions utilisent un jargon, c’est normal. Considérons que l’on possède en fait deux langues: celle, spécialisée, que l’on emploie avec ses collègues et celle que l’on parle à la maison, avec ses amis ou sa famille. Quand nous communiquons des informations complexes à un patient, il faut s’efforcer d’utiliser la seconde. »

On lui posa alors la question suivante : Quelle est la réaction des médecins quand vous leur annoncez que de nombreux patients ne comprennent simplement pas ce qu’ils leur expliquent? « C’est dur pour eux. Aucun docteur ne souhaite que cela arrive. Et les médecins ont des outils à leur disposition. Les étudiants en médecine (NDLR : à Harvard) apprennent désormais à ne jamais poser cette question: «Vous avez bien compris?» Celle-ci place toute la responsabilité sur les épaules du patient: elle donne envie de répondre «oui», même si ce n’est pas le cas. Au lieu de quoi, ils apprennent à demander «Ai-je été clair?», «Ai-je laissé quelque chose de côté?» Dans le même ordre d’idées, nous avons une technique appelée teachback. Par exemple, au lieu de demander «Je vous ai prescrit vos médicaments, vous avez compris?», on dira: «Je vous ai prescrit vos médicaments, et c’est compliqué. Pour être sûr que je n’ai rien oublié, dites-moi ce que vous ferez demain matin.» La responsabilité dans l’échange est devenue celle du soignant. Il faut aussi encourager les questions ».

« Ces mesures visant à améliorer la communication orale et écrite ont un coût, mais elles peuvent aussi conduire à des économies. Par exemple, un centre de Washington pratique beaucoup de coloscopies, un examen qui se prépare plusieurs jours à l’avance selon un protocole rigoureux. De ce fait, si le patient arrive non préparé, un autre ne pourra pas prendre sa place au débotté. Dans le cadre d’une étude, ils ont révisé leur documentation, l’ont testée et améliorée. De plus, ils ont mis en place un téléphone avant l’examen demandant au patient s’il avait des questions et s’il souhaitait qu’un infirmier l’appelle. En une année, ils avaient économisé des dizaines de milliers de dollars ».

On le voit, l’incompréhension de notre message verbal a des conséquences financières. Mais plus graves, encore, elles ont des conséquences psychologiques.

Cette incompréhension crée un réel sentiment de mal-être chez le patient. Et qu’on le veuille ou non, pour beaucoup de personnes, le médecin est encore une personne inaccessible. Un notable comme l’était en son temps le pharmacien, le notaire ou l’instituteur. Si pour ce dernier les barrières sont tombées depuis longtemps, à l’égard du médecin une large frange de la population témoigne encore un respect qui la met en situation d’infériorité et l’empêche de poser des questions d’éclaircissement sur le diagnostic qui vient de lui être annoncé. En France comme en Belgique, de nombreuses voix soulignent la nécessité de clarification des arrêts à l’attention des justiciables. Car de trop nombreux justiciables ne comprennent pas la sentence et se tournent vers leur avocat en demandant : « Et alors Maître, on a gagné ? »[5]. Vous voyez un patient se faire accompagner par un avocat chez son médecin pour comprendre ce dont il souffre ? Avocat qui ne lui sera d’ailleurs pas d’une grande utilité, car il ne comprendra pas toujours plus que son client en l’occurrence.

Qu’un patient ne comprenne pas ce dont il souffre, ni les remèdes qui vont lui être prescrits ou la suite du cheminement hospitalier, est en soi gravissime. Mais est-on toujours compris de ses équipes ? Bonne question. En tant que manager il faut donc veiller à ce que les demandes, comme les consignes soient bien comprises. Et comme le disait la professeure Rima Rudd, il ne sert à rien de demander « Avez-vous compris ? ». La grande majorité des personnes diront oui. Même vous parfois. Tout simplement pour ne pas avoir l’air stupide face à son interlocuteur. Est-ce cela la communication ?



[1] Conseil canadien sur l’apprentissage Littératie en santé au Canada : Résultats initiaux de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes, Ottawa, Canada, 2007. Ce résultat s’appuie sur l’Enquête sur la littératie et les compétences des adultes de 2003 e, sur le rapport Literacy and Health in America paru en 2004. Disponible sur http://www.ccl-cca.ca/pdfs/HealthLiteracy/LitteratieensanteauCanada.pdf

[2] Voir les détails sur http://www.adult-literacy.admin.ch/bfs/all/fr/index/04.html

[3] Sur une échelle allant de 1 à 5, les niveaux 1 et 2 sont qualifiés, respectivement, de très faible et faible. Pour les textes suivis,15,9% de la population suisse a un niveau 1 et 36,3% un niveau 2 (total 52,2%). Pour les textes schématique, par un exemple un horaire de bus, 14,5% de la population suisse a un niveau 1 et 34,5 % un niveau 2 (total 49%).

[4] Extraits d’une interview donnée en novembre 2012 à Planète Santé suite à son intervention à la Polyclinique médicale universitaire à Lausanne, à l’occasion d’un symposium organisé par l’institution sur «Littératie et Web 2.0 »

[5] En France comme en Belgique, le sujet est d’actualité car si  les décisions de justice permettent un raisonnement d’une grande rigueur et d’une grande qualité, par le biais de syllogismes (raisonnements logiques par étapes, basés sur des propositions et amenant à une conclusion), de nombreuses voix soulignent la nécessité de clarification des arrêts à l’attention des justiciables, pour rendre ces décisions plus lisibles, en en clarifiant le sens, en facilitant sa compréhension et en adaptant la motivation, afin de mieux correspondre aux nouveaux besoins de la société.

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